COP16 biodiversité : un bilan en demi-teinte
La 16ème réunion de la Conférence des Parties (COP16) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) s’est déroulée du 21 octobre au 2 novembre 2024 à Cali en Colombie. Cette première COP depuis l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (KMGBF) en 2022 a rassemblé plus de 23 000 participants représentant 196 pays.
L’enjeu de la COP16 reposait notamment sur la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité (GBF) avec la finalisation des méthodes de suivi du Cadre, la mobilisation des ressources nécessaires et l’adoption d’une série de décisions essentielles relatives à la mise en œuvre des cibles et objectifs du Cadre et des efforts nationaux à fournir pour ce faire.
Cette réunion multilatérale a été suspendue par la présidente de la COP, Susana Muhamad (Ministre de l'Environnement et du Développement durable de la Colombie), le samedi 2 novembre après vérification du quorum qui n’était plus atteint. La COP16 s’est achevée en demi-teinte : des décisions clés contribuant à la réalisation des cibles et objectifs du GBF ont été adoptées mais plusieurs points importants à l’ordre du jour n’ont pas pu être finalisés et adoptés, notamment ceux relatifs au financement et au mécanisme de mise en œuvre.
Les succès majeurs des négociations
Plusieurs décisions importantes ont été adoptées lors de la COP16, après deux semaines de négociations :
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Des décisions clés pour la biodiversité, notamment sur :
- La biodiversité marine et côtière : les modalités de modification de la description des aires marines d’importance écologique ou biologique (EBSAs) et de la description de nouvelles aires, ont été adoptées après 8 ans de négociations. Ces identifications seront basées sur des preuves scientifiques et techniques, et constitueront un véritable outil pour soutenir les objectifs de conservation du GBF. Des références à la haute mer permettront aux travaux issus de la CDB de contribuer également à la mise en œuvre de l’accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) ;
- Les espèces exotiques envahissante (EEE) : la COP a salué le rapport d’évaluation thématique de l’IPBES sur les EEE et leur contrôle et ses messages clés. Elle a félicité les travaux du Secrétariat, en collaboration avec l’Union internationale pour la conservation de la nature et le Groupe de liaison inter-institutions sur les EEE, qui ont permis de mettre à jour la boîte à outils sur les EEE. Elle a également approuvé un ensemble d’orientations volontaires en annexe sur la gestion des risques liés aux EEE pour mettre en œuvre la cible 6 du Cadre mondial et éclairer les actions de gestion des EEE aux échelles globale, nationale, régionale et infranationale ;
- Les liens biodiversité et climat : les Etats se sont mis d’accord pour améliorer les synergies entre les actions en faveur du climat et de la biodiversité, ainsi que pour intégrer et promouvoir des solutions fondées sur la nature et/ou des approches écosystémiques pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets au niveau national. La COP a appelé à un renforcement de la coordination multilatérale sur le changement climatique et la perte de biodiversité ;
- Les liens biodiversité et santé : la COP a adopté le Plan d’action mondial pour la biodiversité et la santé en tant que plan volontaire de soutien à la mise en œuvre du GBF ;
- La conservation des plantes : la COP a adopté une série d’actions complémentaires liées à la conservation des plantes pour appuyer la mise en œuvre du GBF. Les actions complémentaires volontaires sont parfaitement alignées avec les cibles du GBF. Elles concernent les plantes des écosystèmes terrestres, des eaux intérieures et des écosystèmes marins et côtiers.
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Une décision sur le rôle majeur des savoirs et des pratiques locales et traditionnelles pour atteindre les objectifs de conservation de la biodiversité avec l’instauration d’une instance permanente pour représenter les peuples autochtones et les communautés locales (IPLC) au sein de la CDB. Priorité de la présidence colombienne qui a porté politiquement le sujet, la COP a remplacé le groupe de travail temporaire sur l’article 8j) pour créer une structure pérenne permettant de consolider et d’institutionnaliser la participation des IPLC.
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Une décision adoptant les modalités de mise en œuvre du mécanisme multilatéral de partage des avantages découlant de l’utilisation de l’information de séquençage numérique sur les ressources génétiques (DSI), c’est-à-dire l’utilisation des ressources génétiques dans leur forme dématérialisée. Ce mécanisme garantit la sécurité et la clarté juridique pour tous les utilisateurs et est accompagné du « fonds de Cali », un fonds mondial dédié à ce mécanisme, qui a été adopté par la COP. La décision prévoit notamment que les grandes entreprises des secteurs bénéficiant de l’utilisation des DSI (notamment les produits pharmaceutiques, les cosmétiques, l’élevage animal et végétal…) contribueront à hauteur de 1% de leurs bénéfices ou de 0,1% de leurs revenus au « fonds de Cali ». Il s’agira de contributions volontaires. Il est à noter que le fonds prévoit de réserver 50 % de ses ressources pour des paiements directs aux peuples autochtones et communautés locales.
En tout, la COP a adopté plus d’une vingtaine de décisions et a également permis d’atteindre un nombre important de cibles nationales alignées avec le Cadre mondial de la biodiversité (2715 à ce jour) soumises par 119 Parties ainsi que 44 Stratégies et Plans d’actions nationaux pour la biodiversité alignés avec le KMGBF.
Suspension de la COP : des sujets cruciaux inachevés
Suite à la demande du Panama de vérifier le quorum des participants le 2 novembre au matin, la présidente de la COP a décidé de suspendre la réunion en l’absence de quorum. La suspension de la COP16 a empêché l’adoption d’un certain nombre de décisions, notamment sur la mobilisation des ressources, sur le mécanisme de financement, sur la planification, le suivi, l’établissement de rapports et d’examen (PMRR), ainsi que sur le budget. L’adoption du mécanisme de mise en œuvre du GBF a été conditionné par certains pays à la création d’un nouveau fonds dédié à la biodiversité sous l’égide de la Convention aboutissant à n’adopter aucune de ces décisions. Une réunion de reprise de la COP devrait avoir lieu dans les prochains mois pour adopter au moins le budget afin d’assurer le fonctionnement ininterrompu du Secrétariat.
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Impasse sur le financement
Lors de la séance plénière de clôture, les pays du Nord et les pays du Sud se sont longuement affrontés à propos de la création d’un nouveau fonds dédié à la biodiversité pour recevoir, débourser, mobiliser et articuler des financements de toutes sources, sous l’autorité de la COP. L’Afrique du Sud et le Zimbabwe, au nom du groupe africain, mais également d’autres pays en développement ont réclamé ce nouvel instrument, critiquant le fonctionnement et la gouvernance des fonds existants. En opposition, l’UE, la Suisse, le Canada, la Norvège, le Japon ou encore l’Australie ont souligné qu’ils ne pouvaient accepter la création d’un nouveau fonds. Pour l’UE, la création d’un nouveau fonds fragmenterait davantage le paysage du financement de la biodiversité. Cette cristallisation des discussions autour de la question d’un nouveau fonds multilatéral a déteint sur la stratégie de mobilisation des ressources, au sujet de laquelle un texte avait été proposé par la présidence, mais qui n’a pas pu être adopté.
Plusieurs gouvernements, dont la France, se sont néanmoins engagés à abonder le fonds pour le cadre mondial pour la biodiversité (GBFF) qui a pour objectif de soutenir les pays en développement, pour un montant total de 163 millions de dollars, portant ainsi à 400 millions de dollars la dotation de ce fonds.
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Echec sur la mise en œuvre
L’établissement d’un cadre opérationnel pour mesurer les avancées des pays était un enjeu essentiel de la COP. Les négociations sur le cadre de suivi du Cadre mondial ainsi que sur les mécanismes de PMRR, y compris l’examen mondial des progrès collectifs dans la mise en œuvre n’ont également pas pu aboutir en raison de la suspension de la COP.
La décision sur la mise à jour des indicateurs de suivi et leurs méthodologies qui aurait permis d’uniformiser les progrès réalisés n’a pas été adoptée. Les points qui restaient à débattre portaient notamment sur l’indicateur concernant les pesticides, et les indicateurs de composante de la cible 16 sur la consommation durable.
Les Parties n’ont pas réussi à adopter les modèles de rapports nationaux, ni les modalités du bilan mondial permettant d’évaluer la mise en œuvre collective du Cadre mondial. L’organisation de dialogues régionaux et d’un dialogue global technique sur la mise en œuvre ainsi que la question du rapportage des acteurs non-étatique sur leur contribution au GBF ont fait l’objet d’oppositions. L'absence d'adoption est une occasion manquée importante pour comprendre et quantifier les progrès vers la réalisation des objectifs du GBF et assurer un rapportage mondial solide.
Le processus n’est pas stoppé pour autant et il faudra s’appuyer sur les décisions de la COP15 et sur l’utilisation volontaire des documents non-adoptés à la COP16 pour continuer le travail et s’assurer que l’examen mondial de mi-parcours à la COP17 soit robuste. La COP16 n’aura cependant pas rempli sa mission de « COP de la mise en œuvre ».
La COP16 : un succès populaire
La « COP du peuple » voulue par le gouvernement colombien a également été un succès puisque des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées en marge des négociations pour assister à l’espace de discussions et d’expositions installé en plein cœur de la ville. A ce succès populaire, viennent s’ajouter des avancées notoires en matière d’inclusivité, notamment avec l’adoption des décisions sur les peuples autochtones et les communautés locales ainsi que sur le rôle des personnes d’ascendance africaine dans la conservation de la biodiversité, rappelant l’importance d’une approche impliquant l’ensemble de la société et des gouvernements pour mettre en œuvre le GBF.
Il y a eu également une forte mobilisation des acteurs privés lors de la COP16 avec une volonté de passer à l’action à leur niveau. L’IAPB, l’International Advisory Panel on Biodiversity Credits, a par exemple publié un référentiel qui définit un cadre de certification pour les certificats biodiversité à haute intégrité qui repose sur des résultats tangibles et vérifiés, sur des principes d’équité et de justice, et sur une gouvernance transparente et saine. Ce projet fait écho au programme de recherche scientifique sur les certificats de biodiversité mené par le MNHN, la FRB et Carbone4 afin de mesurer l’efficacité des actions favorables à la biodiversité par consensus d’experts.
En France, la plateforme « Entreprises et biodiversité », a également été lancée à l’occasion de cette COP16 pour recenser l’ensemble des outils, méthodes, initiatives en lien avec la biodiversité.
Par ailleurs, le gouvernement français a reçu le 4ème prix pour son CHM national au cours de la COP16 avec la remise d’un certificat d’appréciation pour la bonne organisation du centre d'échange d'informations français. Le CHM national est géré par le Muséum national d'Histoire naturelle.
Pour conclure, la COP16 a permis l’adoption de décisions clés permettant des avancées institutionnelles et scientifiques notables pour mettre en œuvre le GBF. Des questions restent cependant en suspens pour mettre pleinement en œuvre le Cadre mondial de la biodiversité : celle du financement qui permettrait de concrétiser le plan de protection de la biodiversité, et celle d’un mécanisme de suivi permettant de mesurer les progrès accomplis par les pays. La COP17 se tiendra quant à elle en 2026 en Arménie.